Silenda, mon éternité,
Je chéris un souvenir de notre vie sur Terre : toi, assise dans un fauteuil sous le tilleul de notre jardin. Tes cheveux argentés emmêlés dans les derniers rayons du soleil couchant. Ta main ridée posée sur le vieux chat pelotonné sur tes genoux. Tes yeux levés de ton livre, ton sourire serein et moqueur. C’était notre dernière soirée terrestre, avant la Sublimation qui fit de nous des êtres spatiaux capables d’explorer l’univers à la vitesse de la pensée. C’est l’image de cet instant qui m’aura accompagnée lorsque j’aurai franchi le Seuil, un siècle solaire avant toi. Tel sera le poème gravé au cœur de mon étoile.
Alors que tu te tiens devant l’Iris pour me rejoindre, peut-être es-tu prise d’un doute. Comme moi, tu connais le terrible prix du Creuset, tu sais que la contraction gravitationnelle d’une nébuleuse induite par ses bras démesurés n’est pas suffisante pour amorcer la stellogénèse. L’ingrédient final, l’étincelle indispensable, c’est notre conscience, cette merveille incompréhensible de la nature, qui sera enchâssée comme un joyau dans le cœur de l’astre auquel nous donnons naissance.
Mais qu’on ne vienne pas pleurer sur notre étoile comme sur un tombeau ! Choisir la Transmigration n’est pas mourir, c’est offrir notre âme mise à nu à l’immensité de l’univers, c’est coudre notre esprit dans le tissu de l’espace-temps pour le rendre éternel. Tel est le destin des Enfants du Creuset, comme il fut celui des Précurseurs avant eux.
Mon amour, demain, nous serons des étoiles jumelles que rien ne pourra séparer, et pour toujours, nous serons la douce caresse du sable chaud, le scintillement éblouissant de la neige, le reflet blond dans les cheveux des enfants, l’éclair dans la goutte de rosée du matin, nous serons la lumière et le feu, l’aube et le crépuscule, ensemble et à jamais.
À l’instant de ton départ, souviens-toi de ce poème des Précurseurs, le premier que vous avons déchiffré, et laisse-le t’accompagner comme il m’a accompagné pendant l’écriture de ces lettres.
Ne crois pas que je n’aie pas peur : seul un idiot serait serein face au chemin que nous avons choisi d’emprunter. Mais nous savons toi et moi que le courage n’est pas l’absence de peurs, c’est la force qui permet de les affronter. Et je sais que ne rien ne pourra jamais m’arrêter tant que tu tiendras ma main serrée dans la tienne.
Si tu es prête, ne te reste qu’à gravir la dernière marche, résoudre la dernière énigme, et répondre la dernière question.
Ton amant pour les siècles et les siècles, Solas.