Silenda, mon coeur,
Te voici déjà parvenue à la troisième station, soit la moitié de ton voyage, et j’ai encore si peu parlé d’amour. Tu le sais, les récits romantiques de notre mythologie ne m’inspirent guère plus que de la lassitude. La plupart concernent des jeunes gens qui ne se connaissaient pas la veille et qui du jour au lendemain se jurent fidélité jusqu’à la mort. Qu’y a-t-il de si romantique dans ces serments sans périls, ces vers creux et éphémères tracés dans le sable par des esprits naïfs qui ne savent encore rien de la vie ?
Le seul amour véritablement fou est pour moi celui des vieillards qui se tiennent encore la main après avoir traversé les orages de l’existence, celui qui se tisse dans la trame du temps, celui qui a survécu à la routine et creusé des rides aux coins des yeux à force de sourires. Notre amour, nous le savons, est de ceux-là : aussi évident que l’énergie qui sous-tend la cohésion des noyaux atomiques, aussi solide que la force qui maintient liées entre elles les galaxies des super-amas. Comment pourrait-il en être autrement ? Notre histoire s’est écrite durant des millénaires, sans jamais souffrir des abîmes interstellaires et des années-lumières qui nous séparèrent trop souvent.
Pourtant, notre passion fait de nous des parias, et les derniers représentants d’une espèce en voie d’extinction. Les Enfants du Creuset se sont fermés au sentiment amoureux, comme s’il était une distraction les détournant de leur noble quête. Dans l’espoir de sauver la Voie lactée de l’obscurité, ils ont sacrifié ce qui, à toi et moi, semble la quintessence de l’existence, l’accomplissement ultime de la conscience.
Et si l’amour était, justement, la solution ? Après tout, les Précurseurs n’ont laissé derrière eux ni aucune instruction, ni aucun texte sacré, ni aucun traité de physique quantique. Mais le cœur de chaque étoile de la galaxie est rempli de leurs poèmes d’amour.
Pour cette énigme, j’ai utilisé l’appareil génial que tu as conçu pour encoder un texte à l’aide des glyphes de l’alphabet des Précurseurs, et que nous utilisions pour échanger des messages secrets. De nombreux mots permettront de déverrouiller cette page, à la seule condition que le premier se termine et que le second commence par la huitième lettre de noms dont nous seul avons le souvenir: ceux que nous portions il y a cent mille ans, lorsque nous habitions la Terre, avant d’abandonner nos corps terrestres pour aller vivre parmi les étoiles.
Ton amant pour les siècles et les siècles, Solas.